mercredi 3 mars 2010

Crimes exemplaires (chirurgicaux). Ande



La traduction « médicale » de Crímenes ejemplares, de Max Aub, réalisée par Danièle Guibbert, pour les éditions Phébus, libretto, 1997, p.52-53 :


Si je n’ai pas mes huit opérations par heure je suis un homme perdu, et je devais n’en faire que six … On en était à deux, au bout de dix minutes et ça ne décollait pas, mes assistants étaient vautrés dans les vaps, béats : un trop plein d’oxygène et v’là le travail ! Et Dieu sait que je n’avais pu faire autrement que de les inciter à stopper ! Ils jacassaient comme des pies, ils caquetaient à n’en plus finir et se relançaient l’un à l’autre la conversation, ils l’emmêlaient de bredouillis et parlaient à tort et à travers de choses inutiles. Les opérations n’avançaient pas et je devais porter toute la responsabilité des actes médicaux sur mes épaules. Faire du chiffre c’est tout ce qui importait maintenant. Soudain il me vint une idée : nous pourrions prendre un peu de retard et falsifier les dossiers. (Ma secrétaire est très réputée pour ça). Je n’en pouvais plus, j’étais laminé. Je leur avais demandé de faire un effort ces derniers temps parce que je ne pouvais pas faire autrement, parce que je suis bien bon et que je ne voulais pas licencier dans ma clinique. Ils étaient arrivés plus ou moins éméchés, déjà fatigués, il était deux heures du matin et ils ne semblaient pas vouloir faire d’effort supplémentaire. « Tant pis », disaient-ils ! Je ne pouvais chasser la pendule de ma pensée, parce que je ne pouvais m’absoudre à un chiffre encore négatif pour la troisième fois de la semaine ! Au-delà de tout, je tiens à ma clinique. Je devais me lever à sept heures demain et il était déjà deux heures, si je ne dors pas mes huit heures je suis une loque toute la journée, et de surcroît, j’opère mal ! Ce qu’ils racontaient ne m’intéressait pas, absolument pas. Bien entendu j’aurais pu agir comme un être grossier et d’une façon ou d’une autre leur dire de s’en aller, que j’allais finir d’opérer tout seul, de toute façon à quoi bon ! Trois ratages sur six. Trois procès à venir rien que pour la dernière heure ! Mais ce n’est pas dans mes manières. Ma mère qui fut veuve très jeune m’a inculqué les meilleurs principes et la meilleure éducation. Je n’avais qu’une seule envie : dormir, et le reste m’importait peu. Je n’avais pourtant pas tellement sommeil, je pensais seulement à l’envie que j’en aurais le lendemain matin, très tôt ! … Ma position m’empêchait de montrer quoi que ce soit, surtout en pleine opération ! Et j’entendais : « toi par-ci et toi par-là… et ça et le reste … », ça jacassait à n’en plus finir ! Le golf, les courses, le Polo … Laetitia Casta, Isabelle Adjani, Catherine Deneuve (je déteste le cinéma pour les avoir toutes retouchées). Le samedi à Broadway (je déteste Broadway). Ah ! La maison d’Ajaccio ! (A ce moment-là je détestais aussi Ajaccio) … et Untel qui divorçait et l’autre qui se ruinait …
« Et toi, qu’en penses-tu ? Et toi, et toi et toi … » Voilà tout ce que j’entendais ! … Et le lifting du Président, et le double menton du ministre, et cette chanteuse d’opéra … Comment déjà ? (Je déteste l’opéra). Et la mode, Apollinaire, et l’alcool, et le sexe …
Et cette perfusion qui ressemblait tellement à de la Vodka !

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