jeudi 15 décembre 2011

Souvenir d'une quenine berruyère (Sandrine)

Quenine

1 : vers de 12 syllabes

2 : 5 syllabes

3 : 14 syllabes (tétradecasyllabes)

4 : 7 syllabes

5 : 10 syllabes



Et si on arrêtait, juste une pause stop

Vraiment pas la peine

Tous ces efforts échoués dans une sordide incompétence

Seul un fou s’entête ainsi

Et les idiots persistent dans l’erreur


Cela ressemble à de la suspicion

Sans pouvoir l’affirmer le doute s’est creusé

Pourtant ça en a tout l’air

Ou alors peut-être

A moins que… mais non je n’y mettrai pas ma main au feu


Désormais le cul-de-sac s’effiloche en impatience

Soubresaut d’inutile absolution

Attendre toujours

Ne jamais savoir quand ni où ni comment. Rien.

Vieux inexorablement


Moi, le steak c’est pas mon fort

On ne vous prendra qu’un pichet car on conduit après

Sacré Jean-Luc, vraiment, toujours le mot pour rire

Et vous, vous partez où pour les vacances

Silence loquace


Matin en bourgeons

Et dans la brume un éclat

Signe tangible en bout de commissures

La meule frôlée de près, son roulis doux berce aussi

Mets cela de côté, tu donneras au chien.

jeudi 1 décembre 2011

Adieu Mallarmé (Sandrine)


Sonnet antonymique du "Salut" de Mallarmé

***********

Adieu

Tout, ce limon, phrase féconde

A ignorer la prosodie ;

Telle près émerge une unique

Limace si seule à l’endroit.


Vous envolez, ô singuliers

Rivaux, toi jamais sur la proue

Nous l’arrière mesquin qui colle

Le feu de silence et d’étés ;


Un vilain sérieux me refuse

Terrifié d’immobilité

De fouler couché cet adieu


Multitude, bas-fond, souillure

Tout nier de ce qui valut

Le noir bonheur de ta dentelle.

mardi 1 novembre 2011

Cogito, tiens (Sandrine)



Je ne pense à rien.

Ah si, tiens, à ça.

Quoi, ça ?

Ben rien.

Tu dis « ça », alors c’est quelque chose ?

Oui, enfin non, « ça », dans le cas qui nous préoccupe, c’est « rien ».

C’est rien ?

Ce n’est pas rien, C’EST rien.

Ah.

Quoi, ah ?

Ben rien.

Ah.

Quoi ?
Non, je me disais seulement qu’il était absurde de prétendre ne penser à rien alors même qu’on y pense en le formulant. Or penser qu’on y pense, c’est penser à quelque chose.

Tu dis ?
non, rien-

jeudi 20 octobre 2011

Texte à démarreur (Sandrine)



Au fait pourquoi les mouches ont-elles des yeux à facettes ?

Au fait pourquoi trouver ça drôle quand c’est les autres qui tombent ?

Au fait pourquoi le silence d’après Mozart est toujours de Mozart mais pas celui de Rika Zaraï ?

Au fait pourquoi n’y pas avoir songé avant ?

Au fait pourquoi l’orage se sent-il sur la peau ?

Au fait pourquoi le rouge est-il la couleur de la révolution ?

Au fait pourquoi les Allemands ne font pas la différence entre un boucher et un charcutier ?

Au fait pourquoi faire attention à la marche ?

Au fait pourquoi la mayonnaise ne prend pas toujours ?

Au fait pourquoi se taire ?

Au fait pourquoi tu tires cette tête ?

Au fait pourquoi ne pas lui dire que je l’aime puisque c’est vrai ?

Au fait pourquoi tu me poses toutes ces questions ?

Au fait pourquoi dire bonjour à la dame ?

Au fait pourquoi continuer ce que d’autres ont commencé ?

Au fait pourquoi pas ?

mardi 18 octobre 2011

Pantoum mélancolique (Sandrine)



Ils appellent ça la mélancolie

en tout cas, avant c’était mieux

comme dans ce poème de Heine

Ich weiß nicht, was soll es bedeuten, dass ich so traurig bin


en tout cas avant c’était mieux

avant cet hôpital

Ich weiß nicht, was soll es bedeuten, dass ich so traurig bin

cette porte est trop fermée


Avant cet hôpital,

L’herbe était plus verte

Cette porte est trop fermée

Pour être honnête


L’herbe était plus verte

Ils appellent ça la mélancolie

Pour être honnête

comme dans ce poème de Heine

lundi 17 octobre 2011

Texte à démarreur (Cécile)


Albertine Simonet a peur de ne plus monter dans le train
Albertine Simonet ne sait plus sur quelle croix danser
Albertine Simonet ne s'est pas assez méfiée de la croyance
Albertine Simonet va vomir elle pense sur la page 170
Albertine Simonet se dit qu'il lui ment à elle aussi
Albertine Simonet se dit que la Suisse ce n'est pas la liberté
Albertine Simonet nettoie le vomi des autres la nuit
Albertine Simonet voit une faille profonde dans la main
Albertine Simonet aspire la voiture mais pas à un bonheur en toc
Albertine Simonet a mal aux mâchoires à trop les serrer
Albertine Simonet ne retourne pas dans son lit, pas encore
Albertine Simonet ne voit pas rouge ni noir, ni rose ni vert
Albertine Simonet voudrait dormir cette nuit
Albertine Simonet en a marre de vos anguilles
Albertine Simonet se glisse sous la peau d'une louve
Albertine Simonet ne court plus mais vole
Albertine Simonet ne retourne pas sa veste doublée
Albertine Simonet ne dit rien mais n'en pense pas moins
Albertine Simonet se moque de la nuit
Albertine Simonet compte ses jours d'enfant malade
Albertine Simonet se fait rattraper par la gauche par la vie par les cheveux
Albertine Simonet entend des craquements dans la maison
Albertine Simonet ne reconnait pas Tannhauser
Albertine Simonet n'aime pas qu'on pisse dans le lavabo
Albertine Simonet n'arrange pas ses cheveux
Albertine Simonet ne veut pas d'une chambre d'hôtel
Albertine Simonet a mis toute sa fatigue dans ses yeux
Albertine Simonet a des fourmis dans les jambes 
Albertine Simonet ne sait pas quelle heure quel jour il est
Albertine Simonet ne fredonne même plus à l'intérieur
Albertine Simonet dessine une ligne de vie de chance d'amour là où la main est percée
Albertine Simonet veut retourner travailler
Albertine Simonet dit "Mon chéri Marcel" et se brûle la langue
Albertine Simonet a vingt six heures de retard
Albertine Simonet a manqué le train

lundi 10 octobre 2011

Récit ethnodendrique (Cécile)


 Pour jouer comme ici.



Le séquoia géant ( Sequoiadendron giganteum) de la place du Cardinal Lefebvre n'aurait jamais dû être là. Le séquoia n'est pas indigène en Berry. Il a été ramené en avion de Rome, en 1954, sous le bonnet carré et pourpre du Cardinal Lefebvre, alors qu'il venait d'être ordonné cardinal de S. Giovanni Battista dei Fiorentini. Un écureuil vaticanesque aurait caché, pour former des provisions sitôt oubliées (car l'écureuil est charmant et agile, mais il est dépourvu de mémoire) de minuscules cônes sous le bonnet de l'alors évêque berruyer, qui s'est gratté la tête en revenant devant la cathédrale de Bourges, plantant alors en toute ignorance ce qui deviendrait un monstre, un gigadendron, absolument pas adapté à l'étroitesse de joints entre les pavés qui font front bas devant Saint Etienne. Son tronc est trop large pour être embrassé par qui ce que soit (à part Encelade, peut-être, qui a néanmoins autre chose à faire que d'embrasser les arbres), sa cime trop haute pour que je la discerne. Son écorce est rugueuse et abrite des gendarmes qui copulent par dizaines, petite chaine rouge mal cachée dans les anfractuosités ocre terre de sienne presque vermillon.  Le séquoia géant de la place du Cardinal Lefebvre se sent tellement déplacé sur la placette qu'il se cache dans les ramures d'un Fagus (le hêtre, qu'on appelle fou, fol au Moyen-Age) bien local ; mais comme l'homme cache la foule,  le fagus semble greffé sur un tronc trop gros pour lui, trop rugueux pour lui, trop craquelé pour lui. Encastré dans le séquoia, le Fagus devient un usurpateur, et un monstre végétal. Devant les contreforts de la cathédrale, et avec sa bénédiction, ces deux là sont mêlés, sans que personne ne lève les yeux vers eux. Il est vrai que les passants se précipitent dans l'ouverture noire du parking de la mairie.
Le séquoia géant est clandestin, comme la passante aux chaussures rapides. Le séquoia géant se plait, comme elle, sur le sol aride et même acide. Le séquoia géant résiste au feu, aux incendies, aux grands incendies et aux grandes brûlures.  Le séquoia géant de la place du Cardinal Lefebvre est mon ami, parce que chaque fois que je l'embrasse, trois fois par semaine, il m'enseigne tous les remèdes contre les brûlures graves et contre les légères. Il me dit comment épaissir ma peau et la craqueler pour faire front au feu, il me raconte qu'un de ses frères s'appelle sempervivens, et trois fois par semaine, le visage collé à son tronc trop large, j'entends bruire un incendie longtemps retenu. Le séquoia géant de la place du Cardinal Lefebvre est reproduit en miniature dans chacun de ses cônes, qui ne s'ouvre que lorsque la chaleur de l'incendie est trop forte. Je promets au séquoia géant de la place du Cardinal Lefebvre que je le ramènerai à Rome dans un bonnet carré. On verra bien ce que dira Saint Pierre. 

samedi 1 octobre 2011

Petite boîte (Cécile)


Attendre juste à côté
Moisir vraiment, croupir là
Enrouler autour de soi même
Le téléphone
Portable ça ne fait rien à l’af-
Faire quand on est là, que faire ?

*


Merde fais chier putain quoi merde
C’est vrai quoi merde fais chier quoi
Une enclume dans la gorge avec
Piquants
Des Clous qui griffent grattent et même plus
de Lisopaïne jaune.

Avant la salade (Sandrine)


Poser la pantoufle sur le carreau noir.

D’un air totalement quelconque, avancer d’un pas. Ramener la seconde pantoufle sur le carreau blanc d’à côté.

Opérer une rotation de 90° gauche, et réitérer l’opération susmentionnée.

Tendre le bras droit (ou gauche, c’est selon), jusqu’à se saisir du bitoniau en bois qui sert de poignée à la porte du placard. Se baisser un peu (flexion des genoux) pour épargner son dos mal en point.

Tirer la porte à soi jusqu’à ce qu’elle bée façon chèvre.

Tendre le bras libre en direction du bol bleu – ils sont tous bleus, en choisir un. Le caler entre sa main et son flanc sans laisser traîner ses doigts dedans. Du bol ou du doigt, l’un des deux est forcément plus sale que l’autre, inutile de souiller l’élément le plus propre du désormais indissociable binôme.

Se redresser. L’opération suivante requiert vélocité et précision.

D’une pointe de pantoufle avertie, et mue d’un coup de hanche non moins expert, refermer la porte du placard d’un claquement bref. Clac !

Rotation de 90° gauche, avancer de trois carreaux noirs et deux carreaux blancs. Re-rotation à gauche, de 90°. Deux noirs un blanc. Rotation 90°, droite cette fois. Joindre les pantoufles sur deux carreaux voisins. Stop. Ne plus bouger les pieds.

Poser le bol sur le plan de travail.

Tendre la main droite vers l’étagère, éviter de frôler la boîte de dragées poussiéreuse du dernier mariage et slalomer entre les pots en verre sans faire tomber le rouleau de Sopalin qui s’appellera Küchentuch parce que ce Sopalin-ci parle allemand.

Attraper la bouteille d’huile et la ramener à soi d’une pliure de coude, la poser sur le plan de travail à côté du bol. Bling !

Réitérer le mouvement précédent pour choper le vinaigre. Bling !

Sans se pencher parce que ce serait de la triche, ouvrir le tiroir pour en sortir une cuiller à soupe sans éclat. La poser aussi à côté du bol.

Les choses se précisent.

Faites entrer votre corps en mouvement, en tournant de 90° sur la gauche le temps de franchir trois carreaux (deux blancs, un noir), ou alors allez-y en (minuscules) pas chassés. Arrêt devant le frigo. Ou plutôt un peu à côté, sinon ça bloque l’ouverture de la porte. Donc, poser la main sur le rebord de la porte et constater qu’il faudra passer un coup de chiffon car à force de poser des mains grasses sur le rebord de la porte, il y a une trace sombre sur la paroi qui était blanche à l’origine. Tirer la porte à soi, bref l’ouvrir.

La lumière du réfrigérateur s’est allumée sans crier gare. Bon signe.

D’un œil aguerri, chercher la moutarde (deuxième étage en partant du haut, petit pot jaune à étiquette rouge, reconnaissable entre mille autres produits). La prendre d’une main ferme et l’extirper du frigo tout en recourant au coup de hanche habituel et au bout de savate pour refermer la porte et ne pas gaspiller l’énergie déployée par le système de réfrigération.

Cap sur la gauche pour le déplacement retour : un carreau noir, deux blancs. Regagner sa place face au bol, à l’huile, au vinaigre, à la cuiller. Le ventre s’appuie mollement sur le plan de travail si besoin est.

Dévisser le couvercle du pot de moutarde, le remiser par-devers soi pour une fermeture ultérieure dudit pot. Plonger la cuiller dans la moutarde et employer l’ustensile au transvasement du condiment de son pot industriel au bol. Une cuiller suffit. Reboucher le pot (c’est là qu’on est content de l’avoir remisé prudemment deux lignes plus haut). Effectuer le va-et-vient vers le réfrigérateur jusqu’à retrouver sa place initiale.

Se saisir de la salière et de la poivrière, en contre-haut, sur l’étagère. Secouer énergiquement chacune d’entre elle au-dessus du bol de façon à asperger généreusement la moutarde lovée au fond. Ranger sel et poivre là où il se doit.

S’emparer du goulot de la bouteille de vinaigre et soulever le bouchon d’un mouvement du pouce. Laisser couler le liquide dans la cuiller par deux fois, avant de le verser dans le bol. Replacer le vinaigre recapsulé sur le plan de travail, ajouter de l’huile en mince filet au mélange, tout en touillant avec entrain la préparation de façon à ce qu’elle épaississe.

Reposer la cuiller sur le rebord du bol, plonger un doigt gourmand, rien de tel pour savoir si la sauce est réussie.
La vinaigrette est prête. A table !
On fera la vaisselle après.

dimanche 31 juillet 2011

Poème de marche relativement solitaire (Cécile)

Composé le 14 juillet dans les marais de Bourges, avec la mallarméenne troupe de JJ.
Contrainte : un poème à composer en marchant, en octosyllabes rimés ou non, à transcrire en arrivant et à réciter à son voisin immédiatement après l'avoir transcrit. La deuxième strophe est composée au retour et transcrite en arrivant aux Beaux-Arts.

Are you engaged ? No, commited,

Disent les Anglais rue Coursarlon

Geoffroy Tory on a perdu

Un ours orange voilà six ans

Lundi matin, pas d’eau ou presque

Dans la Voiselle, Poissons piétons

Mardi aussi, le vert me mort

Et griffe, méchantes horties

Ce mercredi, cheveux mêlés

Sous l’eau verte Ophélie se cache

Jeudi matin le vert partout

Are you engaged ? No, commited.


Pomme tombée, pomme rongée

La fête de lutte ouvrière

Pomme tombée pomme foulée

Soleil et vent, ombre et lumière

Pomme écrasée pomme pourrie

La symphonie pom pom pom pom.

Comme le sonnet en -X de Mallarmé (Cécile)

Un sonnet, donc, dont les rimes, non content d'être régulières, sont homophoniques, masculines et féminines. En tout, deux sons seulement reviennent. Si vous n'avez rien compris, lire le sonnet en -X de Mallarmé.

A trop passer de mots, on égoutte le meilleur

Et sur le papier reste un sonnet atrabile

Et alors on découvre, affront, rage, frayeur

Qu’encore une autre année, il faut que l’on rempile

Non content de ramper au niveau inférieur

Loin des attraits du temps, des appâts de la ville,

Encore on sert à tous un Stéphane Monseigneur

Insidieusement, du temps le sable file.

Mallarmé, lui, cousait, même gros en blanc fil

Mallarmé il servait des salades sans babil.

Si je vendais du flan, en restant à demeure

Toute l’année serait le mois des Anquetil,

Des Perec et Queneau, mais tout ça c’est du beurre

Et revient en septembre, le ruisseau sous le cil.

Réduction d'un beau sonnet de Mallarmé (Cécile)

Roule

pieuses mains

maux humains

Funeste moule.

ramier roucoule

maints

Lendemains

la foule.

solitaire bond

vagabond –

Verlaine

d’accord

Son haleine

La mort. »


réduction du très beau Tombeau de Verlaine, de Mallarmé.

vendredi 22 juillet 2011

Petit jeu d'après un sonnet de Mallarmé (Sandrine)

Sonnet + sur-contrainte avec les deux seules rimes qui sont dédoublées (féminin/masculin)

1- Deux trois mots déchirés sur l’écueil

2- Ombre solaire qu’un creux béant laboure.

3- De vagues infatuées naîtra ce fin recueil

4- Morne inconstance de pans de vers à courre


5- Voûter le verbe ou le clouer au cercueil

6- Ultime. Empli d’une horreur électrique bourre

7- Le tronc des sans-voix l’écureuil

8- Au fond rongé par la vie qui l’entoure


9- S’effacer pour un jour, se hisser troubadour

10- Mais ne rouler que des sons gourds

11- Qui en lieu d’orchidées crachent du chèvrefeuille


12- Tel un pet résonne dépité calembour

13- Facile et plat, ne cueille

14- De lauriers que droit venus de Hambourg

lundi 13 juin 2011

Le baiser (Ande)




Le ténébreux baiser de la dame en noir

Porte le Veuf vers la tour rouge de l’Espoir

Auparavant inconsolé puis vainqueur à la rose


Le Ténébreux de sa tour envoie cette rose

Veuf à jamais mais vainqueur d’un noir dessein

Inconsolé il l’était jusqu’à ce rouge baiser


Ténébreux Vainqueur au cœur rouge désormais

Veuf il fut, le baiser rose l’a consolé

Disparu à jamais l’Inconsolé de la tour noire.

lundi 16 mai 2011

Monostique paysager ferroviaire (Cécile)



De Bourges à Paris
Ligne jaune disparue peu à peu
30Z sur le panneau
Guyomarc’h nutrition animale vert sur jaune
Un pigeon vole horizontal
Un ciel de rayures fines et noires, on quitte la gare
Sur l’autoroute
Petits blocs de pierres cubiques assemblées régulièrement, mais pour quoi faire ?
Verts, les bouleaux, traits blancs
Je remarque le glissement rouillé, légèrement désaxé, du rail, qui rend plus brillante encore l’arête interne du métal
Derrière la haie, de l’eau qui brille doucement, reflet ombré du rail
Une route brutalement graphique, noire de bitume opaque et bien parallèle
Dans le train, personne ou presque, une femme seule dont je vois le visage renversé dans le porte bagage en plexiglas
Un homme en polo qui dort, les mains posées à l’intérieur des cuisses
Des talus qui bordent la voie ferrée : aridité, mousse rare, du brun et des cailloux
Mais aussi du vent, du vert assourdissant d’humidité juste après
Mon double à rayures tient un stylo dans la main, appuyé contre le menton
Au bord du train, au bord de midi, des maisons à épis de faitage, qu’on trouve jolies jusqu’à ce qu’on se rappelle qu’elles donnent sur la voie ferrée
Des genêts en fleur, pourtant on n’est pas dans le midi
Le train roule trop vite pour que je déchiffre le nom de la gare traversée, bouillie blanche sur le panneau bleu
Après Orléans des éoliennes et le vert s’aplatit jusqu’à l’horizon. Vert avec des petites rayures, ce sont des cultures dont j’ignore le nom, vert tendre du blé en herbe et Colette n’est pas là, j’ai froid pourtant les jambes nues au mois de mai, encore la bouillie blanche et bleue des panneaux illisibles des gares anonymes des arbres bien rangés comme des boules de buis sur tige le long de la route au loin. Les proportions sont inversées, je suis dans un jardin de l’autre côté du miroir sans doute ils vont parler
Les moutons galopent dans le ciel ou s’étirent comme du coton à Paris j’achèterai des bas clairs, le soleil disparaît et mon ombre aussi joue à cache cache, cache moi cache toi vite cherche moi vite
L’habitat devient plus dense, j’écris distraitement, je lis distraitement, en plissant les yeux j’arrive à lire « bourray » et je ne peux rien dire de cette ville invisible dont je n’ai vu qu’un bleu roi sncf.
Des pavillons derrière les haies de troènes, de plus en plus nombreux, Maroilles (Mareuil plutôt) en Maulpoix – une poésie entre la gare et le fromage ; une usine aux toits pointus collée à une autre aux cheminées rondes, un champ de grues rouges et blanches, des RER déjà garés le long de la voie et dans dix minutes c’est Paris le train doit ralentir je lis facilement Sainte Geneviève des Bois et en vérité le train traverse le bois mais furtivement. Plus d’eau obscure mais des centres commerciaux Monsieur Bricolage environnés de tags de maisons années 30 en fausse pierre apparente à joints épais rouges ou marron ; des zones-sans-un-homme mais des caddies abandonnés sur du bitume défoncé des maisons à vendre au milieu d’un parc avec des jeux pour les enfants de 3 à 7 ans sous la surveillance d’un adulte responsable un petit escalier en métal bleu qui ne mène nulle part encore ces maisons que je trouve laides vraiment Athis Mons et la Seine étale entraperçue avec des barques des péniches aucun pécheur sous chapeau pointu au restaurant La Rizière au bord de Seine pour les inondations Villeneuve le Roi un trompe l’œil de baleine et de lune sur une usine le train freine très fort soudain je vais lire sans effort Imprimerie ‘° --‘ lettres orange, un RER paresseux dans l’autre sens des plastiques à trous orange encore à Choisy le roi on pourrait compter les cheveux des gens qui attendent sur le quai à droite lire Quicksilver sur leur sac de sport le train reprend une vitesse normale et je lis difficilement les Ardoines à Paris j’achèterai des cartouches d’encre bleue et rouge je ne lis rien de plus que des grilles de fer forgé ouvragé et peint en blanc aux fenêtres des villas années 30 en bord de chemin de fer. Il y a les mêmes affiches publicitaires que partout en France pour avoir une maison pleine d’envie de couleurs de nouveauté qui me font vomir plein de couleur plein de cloueurs d’envies de nouveautés sur le siège en velours à raies larges vert d’eau et gris pâle, « dans quelques instants votre train corail intercité arrivera » – François Mitterand il fait tout sombre – « son terminus » – couloir sombre et silencieux. Des piques pour s’empaler à moins d’être une coulée de béton molle et grise, les freins hurlent mollement, le soleil brille mollement, les gens froissent des papiers se pressent enfilent leurs sacs sur leur dos leurs épaules au bout de leur bras à la saignée du coude le train freine mollement Panneau sortie Poteaux en forme de champignons Paris Austerlitz poème blitz.

dimanche 15 mai 2011

Gestomètre : Acheter des chaussures (Cécile)


· AAcheter des chaussures

Repérer la paire (avec une amie)

Considérer une autre paire d’un autre modèle dans la vitrine

Saluer la vendeuse

Demander le modèle convoité

Etre déçue, parce qu’il n’est pas disponible

Se laisser guider parmi les chaussures brillantes

Choisir un autre modèle, juste pour essayer

Oter la chaussure droite portée

Glisser le pied droit, avec beaucoup d’effort dans l’escarpin présenté

Arriver en claudiquant jusqu’au miroir

Et là, c’est l’évidence, la vendeuse n’est plus qu’un babil de fontaine lointain, on est tout à la fois Elisabeth Taylor et Cléopâtre, à la fois la grâce d’Audrey Hepburn et la séduction de Marylin, on sait qu’avec ce talon aguicheur on pourrait grimper les marches de Cannes, fouler les tapis rouges, arpenter les parquets au point de Hongrie, on pourrait même déchirer le canapé de ce petit stagiaire si mignon, croisé à la photocopieuse.

Essayer l’autre pied.
Retirer les escarpins.

Sortir sa carte bleue.

Porter d’un air conquérant le sac aux anses en cordelette rouge

S’apercevoir qu’on a acheté trop cher des souliers une pointure trop petite.

vendredi 6 mai 2011

Le soir au coucher … (Ande)


Soulever un pan de couette

Se glisser dans le lit

Lentement

A l’horizontale presque

S’allonger complètement dans le lit

Rabattre la couverture sur soi parce l’air fraîchi

Se caler délicieusement sous la couette

Attendre impatiemment que les pieds réchauffent

Ça y est !

Se tourner sur la gauche

Trouver sa position

En chien de fusil

Passer le bras gauche sous l’oreiller

Trouver enfin sa position

Fermer doucement les yeux

Bâiller si nécessaire

Quitter en pensée le monde réel, se déconnecter

Se gratter le lobe de l’oreille

Se passer la main droite dans les cheveux

La ramener contre sa poitrine, fermer le poing

Se frotter les pieds

Bouger tout de même un peu pour bien s’arrimer

Bien faire reposer sa tête au centre de l’oreiller doux et moelleux

Trouver définitivement sa position

Laisser vagabonder ses pensées vers des contrées amies

Compter les moutons si c’est utile

Ou penser à la Terre bleue comme une orange

Laisser entrer par l’entrebâillement, le rêve …

dimanche 17 avril 2011

Face me. (Cécile)


Il fallait bien se décider, elle ne pourrait pas plus longtemps s’appeler face de rat, face d’œuf et face de cul, même face de nem, face de citron, face de couille. Elle avait beaucoup regardé Clint Eastwood, et à 80 ans, elle aimerait être comme lui. Comme lui en femme. Sauver la face, enfin, montrer la sienne, de face, large, pleine, lumineuse sur grand écran. Côté pile de la salle, les spectateurs, côté face, la sienne. Et à la face du monde son talent éclatera. Ça ne fait aucun doute, inutile de se voiler la face, de fuir le téléphone aussi loin que la face de Dieu. Dieu avait un nom, le Dr Delajoie. Le fascicule est ouvert à côté du lit, présentant des portraits, en pied, de face et de profil. Le résultat tient du prodige. Examinant la brochure sous toutes ses faces, les doigts tremblants à l’idée de changer la face, peut-être pas du monde, mais de sa vie étique et grêle (comme l’intestin), elle inspecte les pixels, interroge la face interne parfaitement lisse et tannée des photogéniques cuisses octogénaires. Aucun doute. C’est le moyen de faire face, de laver l’affront des bougies qui se reproduisent sur le gâteau annuel comme autant de crachats à la face de sa beauté déchue. Depuis combien de temps déjà ? la reine de beauté se retrouve face contre terre, foulée dans la boue par des jeunettes de 60 ans à peine. Perdre la face, baisser les bras ? Ce n’est pas dans sa façon, non. Son regard croise alors une photo dans un cadre de métal ouvragé. Face à face, la jeunesse et les rides. Elle saisit un face-à-main rétro, et détourne à la fois la face et le regard. Ses yeux se voilent lentement, elle saisit le téléphone. C’est facile, elle compose le numéro miraculeux, remue des papiers, agite ses numéros de mutuelle, de sécurité sociale et d’assurance-vie fastidieusement assemblés pour l’opération, ses photomatons de face et de profil.

A la quatrième sonnerie, le répondeur dévoile un peu plus la face cachée de la clinique Nouvelle jeunesse. La jeunesse s’éloigne encore un peu, puis disparaît complètement derrière les numéros de sa carte de crédit, son cryptogramme visuel et sa date d’expiration. Elle ne se retournera pas pour écouter la face B de son disque mortuaire.

vendredi 15 avril 2011

Le face à face du boxeur (Ande)


Le face à face du boxeur avec son ombre.

Face à lui, je ne fais pas le poids. J’appréhende de me retrouver face à face avec mon ombre. Je préfère me voiler la face que de tomber face contre terre, seulement voilà, boxer contre soi-même jusqu’à se détruire, jouer sa vie à pile ou face, tout ça pourquoi ? Je me regarde dans le miroir avant de monter sur le ring. Je trouve que j’ai déjà une face de rat, aplatie. J’aurais bien envie de cracher mon venin à la face de mon double mais je sais déjà, voyons les choses en face, que c’est impossible. C’est l’heure. Je vais me faire démolir la face. Je monte sous les rares applaudissements. Je jette un oeil une dernière fois à la pendule qui fait face à la sortie. Je regarde l’autre bien en face. Je me mets en position. J’ai peur de me faire encore une fois démolir la face. En fait, je n’ai jamais aimé les face-à-face. La cloche retentit. Le combat commence. Les coups pleuvent sur ma face déjà ensanglantée. Je commence à délirer … Je vois tour à tour, apparaitre devant mes yeux, mon voisin d’en face, la face Nord de l’Annapurna, la face cachée de la Lune ou peut-être serait-ce celle de Dieu, des étoiles scintiller dans le ciel bleuté. Je vois un œil en gros plan m’examiner la face. J’entends au loin l’arbitre compter et dire face au public : « victoire par K.O » ! Je me sens tout à coup soulagé. Une civière m’emmène à la clinique d’en face, me faire recoudre la face. Encore une fois, je m’en suis sorti mais sans pouvoir sauver la face. L’autre a sûrement la face réjouie du guerrier victorieux.