dimanche 17 avril 2011

Face me. (Cécile)


Il fallait bien se décider, elle ne pourrait pas plus longtemps s’appeler face de rat, face d’œuf et face de cul, même face de nem, face de citron, face de couille. Elle avait beaucoup regardé Clint Eastwood, et à 80 ans, elle aimerait être comme lui. Comme lui en femme. Sauver la face, enfin, montrer la sienne, de face, large, pleine, lumineuse sur grand écran. Côté pile de la salle, les spectateurs, côté face, la sienne. Et à la face du monde son talent éclatera. Ça ne fait aucun doute, inutile de se voiler la face, de fuir le téléphone aussi loin que la face de Dieu. Dieu avait un nom, le Dr Delajoie. Le fascicule est ouvert à côté du lit, présentant des portraits, en pied, de face et de profil. Le résultat tient du prodige. Examinant la brochure sous toutes ses faces, les doigts tremblants à l’idée de changer la face, peut-être pas du monde, mais de sa vie étique et grêle (comme l’intestin), elle inspecte les pixels, interroge la face interne parfaitement lisse et tannée des photogéniques cuisses octogénaires. Aucun doute. C’est le moyen de faire face, de laver l’affront des bougies qui se reproduisent sur le gâteau annuel comme autant de crachats à la face de sa beauté déchue. Depuis combien de temps déjà ? la reine de beauté se retrouve face contre terre, foulée dans la boue par des jeunettes de 60 ans à peine. Perdre la face, baisser les bras ? Ce n’est pas dans sa façon, non. Son regard croise alors une photo dans un cadre de métal ouvragé. Face à face, la jeunesse et les rides. Elle saisit un face-à-main rétro, et détourne à la fois la face et le regard. Ses yeux se voilent lentement, elle saisit le téléphone. C’est facile, elle compose le numéro miraculeux, remue des papiers, agite ses numéros de mutuelle, de sécurité sociale et d’assurance-vie fastidieusement assemblés pour l’opération, ses photomatons de face et de profil.

A la quatrième sonnerie, le répondeur dévoile un peu plus la face cachée de la clinique Nouvelle jeunesse. La jeunesse s’éloigne encore un peu, puis disparaît complètement derrière les numéros de sa carte de crédit, son cryptogramme visuel et sa date d’expiration. Elle ne se retournera pas pour écouter la face B de son disque mortuaire.

vendredi 15 avril 2011

Le face à face du boxeur (Ande)


Le face à face du boxeur avec son ombre.

Face à lui, je ne fais pas le poids. J’appréhende de me retrouver face à face avec mon ombre. Je préfère me voiler la face que de tomber face contre terre, seulement voilà, boxer contre soi-même jusqu’à se détruire, jouer sa vie à pile ou face, tout ça pourquoi ? Je me regarde dans le miroir avant de monter sur le ring. Je trouve que j’ai déjà une face de rat, aplatie. J’aurais bien envie de cracher mon venin à la face de mon double mais je sais déjà, voyons les choses en face, que c’est impossible. C’est l’heure. Je vais me faire démolir la face. Je monte sous les rares applaudissements. Je jette un oeil une dernière fois à la pendule qui fait face à la sortie. Je regarde l’autre bien en face. Je me mets en position. J’ai peur de me faire encore une fois démolir la face. En fait, je n’ai jamais aimé les face-à-face. La cloche retentit. Le combat commence. Les coups pleuvent sur ma face déjà ensanglantée. Je commence à délirer … Je vois tour à tour, apparaitre devant mes yeux, mon voisin d’en face, la face Nord de l’Annapurna, la face cachée de la Lune ou peut-être serait-ce celle de Dieu, des étoiles scintiller dans le ciel bleuté. Je vois un œil en gros plan m’examiner la face. J’entends au loin l’arbitre compter et dire face au public : « victoire par K.O » ! Je me sens tout à coup soulagé. Une civière m’emmène à la clinique d’en face, me faire recoudre la face. Encore une fois, je m’en suis sorti mais sans pouvoir sauver la face. L’autre a sûrement la face réjouie du guerrier victorieux.

mercredi 13 avril 2011

Pas face-IL (Sandrine)


texte saturé de face (d'après une idée "Bleu" de PF)

***

Large, pleine, ronde, nue.

Sa face autrefois, c’était sa carte de visite.

Sa façon à elle de crier « je » à la face du monde, par le simple fait d’être là, seule face-à-face possible pour l’Autre.

Mais sa face A s’étiole en face B.

Face ex-taillée convexe, face interne, face ventrale, elle s’efface peu à peu, s’enconcavise tant qu’on la croirait toujours de dos.

Comment lui dire en face, puisque ses yeux sont en biais des trous ? Lui jeter à la face qu’elle n’en est qu’une de rat, face polaire de carême ? Et risquer de devenir le dindon de sa volte-face ? Jouer le brise sexe-à-pile ou face-à-main désenchanteur, le miroir double face-essieu qui la roulerait dans l’opprobre ?

Sainte-Face cachée, ombre et souvenir contre terre de sa boule à fossettes.

Le mieux serait, quitte à perdre la face, qu'elle opte pour le voile.