mercredi 3 mars 2010

Crimes exemplaires. Cécile


La traduction « juridico-cuistre » de Crímenes ejemplares, réalisée par Danièle Guibbert, pour les éditions Phébus, libretto, 1997, p.52-53 :

Si je n’ai pas mes huit heures de parquet, pro domo, je suis un homme perdu pour la conférence Berryer, et de facto je devais me plaider à sept heures, sans acte dilatoire d'aucune façon… Il était deux heures au méridien de Greenwich, sub nocte, et ils ne partaient pas, ils étaient vautrés dans les biens mobiliers rétractables, béats. Et Dieu sait que je n’avais pu faire autrement que de les inviter à m'écouter plaider, puisque ce sont, vous l'accorderez facilement, monsieur le président, des relations somme toute communes entre accipiens et solvens. Ils aggravaient le climax de tapage nocturne caractérisé, ils haussaient le sommus maximal de décibels tolérés à n’en plus finir et se relançaient l’un à l’autre la conversation, ils l’emmêlaient de bredouillis et parlaient à tort et à travers de choses inutiles, constituant de la sorte une gêne sonore qu'on ne pouvait plus considérer comme subjective mais bien au contraire comme trouble anormal du voisinage direct. Et je devais porter verres de cognac, encourageant ainsi à mon corps défendant l'alcoolisme sur la voie privée, et sur la voie publique, cqfd, et autres tasses de café, comme si besoin était de soutenir leur attention au moment de la péroraison. Soudain émergea une proposition rémanante, de la susdite, je cite, " nous pourrions prendre un peu plus tard un exorde délibératif". Il est un fait établi que ma greffière est très réputée. J'avais épuisé mes ultimes forces. Victime de l'éducation, victime de la société, victime des bonnes manières? Comment trancher, le noeud est gordien, entre nature et culture? Je les avais invités à m'applaudir parce que je ne pouvais faire autrement, et c'est ici la part de l'inné qui s'exprime subséquemment, , parce que je suis bien élevé, et c'est ici la part de la culture qui croit et m'étouffe. Pour citer Swift,je dirai que les hommes naissent mauvais, et que la société les rend pires encore. Ils étaient arrivés plus ou moins à neuf heures et demie, il était deux heures du matin et ils ne semblaient pas vouloir s’en aller : criante illustration de la citation sus-citée. Je devais me lever à sept heures et si je ne plaide pas pendant huit heures je suis une loque de parquet (et un interdit banquaire) toute la journée, et de surcroît ce qu’ils racontaient ne m’intéressait pas, absolument pas. Bien entendu j’aurais pu agir comme un être du commun et en latin ou en grec leur dire de s’en aller. Mais ce n’est pas dans ma manière. Ma mère qui fut veuve très jeune m’a inculqué les meilleurs principiae. Je n’avais qu’une seule envie : plaider le lendemain, et le reste m’importait peu. Je n’avais pourtant pas tellement mon plaidoyer en tête, je pensais seulement à l’envie que j’en aurais le lendemain… Mon éducation m’empêchait de simuler ces effets de manche qui sont le moyen habituel des avocats ordinaires.
Et vous par-ci et vous par-là… et ça et le reste. L'affaire Courveuax, les échecs de Collard, le congélateur… "Avocats et associés" sur TF1, "les Nerfs à vif", Le docteur Delajoux (je déteste le cinéma). Le samedi à l'hôpital Cedars-Sinaï (je déteste Los Angeles). Ah ! le barreau de Marseille ! (à ce moment-là je détestais aussi Marseille)… et Vergès qui perdait et perdait…
Et vous, qu’en pensez-vous ? Et vous, et vous et vous… Et le Président, et le bâtonnier, et le ministère civil (je déteste le ministre civil). Et la blanche hermine, Ally Mac Beal, et l'épitoge, Henri Burin des Roziers
Et ce poison en robe noire qui ressemblait tellement à l'avocat du diable.

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