mardi 21 avril 2009

Robert Frank, atelier photo (Cécile)



Télérama a eu la bonne idée de lancer un atelier d'écriture autour de ces deux photos de Robert Franck.

Alors on a rédigé une nouvelle qui relie les deux photos, en commençant par l'une ou l'autre, dans la limite de 3000 caractères.

Elle est plantée au milieu de nulle part. Elle rit de la croix qui est plantée derrière elle, c’est là que les blancs pensent que Robert Johnson a rencontré le diable. Et inventé le rock’n roll. Elle rit aussi, elle s’en balance, elle pense au blues, elle pense que le blues, c’est l’œil le plus bleu, elle pense à Tony Morrison. Elle se repose un peu aussi. Elle se dit que si Robert Johnson avait été blanc, qu’est-ce qui se serait passé ? Que si un jour il y avait un président noir… elle pose un poing fermé sur sa hanche lourde. Elle sourit. On dit de ces bêtises. Si Robert Johnson avait été blanc, alors il aurait vécu à Paris, dans la brume. Il aurait porté une chemise à jabot, comme tous les parisiens. Il aurait tellement frayé avec le diable dans des quais interlopes, qu’il en aurait pris l’implantation crânienne, que ses cheveux noirs formeraient un V sur son front. Un V comme… un V comme rien. Un V comme si un jour il y avait un noir qui dirigeait…. Non. Si Robert Johnson avait été blanc, il aurait quand même été inquiet et secret, mélancolique à jeun et porté sur les femmes le reste du temps. Il aurait été sur le point de fuir, un maigre bagage à la main, un long cache poussière traînant au sol, cache poussière, cache misère, cache détresse. Si Robert Johnson avait été blanc, un V de lumière renverserait son crâne, un V possible, un V à croire. Si Robert Johnson avait été blanc, le rock aurait été une musique pour tous, le blues ne chanterait pas l’œil le plus bleu, le prix Nobel de littérature aurait été possible pour les noirs.

Il fuit Paris. Il porte à la main un maigre bagage. Son implantation l’a longtemps fait surnommer Bela Lugosi. Il se dit que Paris, il ne peut plus. Que la ville est devenue folle. Que le continent a la rage. A défaut de l’abattre, il faut fuir. Il fuit l’Europe malade. Il a déjà tout perdu. Il laisse ici sa musique, il laisse son violon, ses cadavres, il emporte ses peurs, ses nuits sans sommeil, ses yeux creux. Il ne sait pas que là bas, il trouvera la musique, il trouvera d’autres yeux creux, il trouvera une terre sur laquelle se fond un corps massif, assis sur une chaise, au milieu de nulle part. Une chaise au milieu de nulle part, comme partout on trouve. Une tête pleine de rêves monochromes qui se détache sur un ciel sans nuage. Il fera aussi des rêves monochromes. Il découvrira Robert Johnson. Il jouera. A vingt-huit ans, il se fera assassiner.

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