jeudi 18 novembre 2010

OS. Crochet à goutte d'eau. Poème portrait d'un objet. (Cécile)

Ce texte est composé à partir d'une structure inventée par Jacques Jouet, texte à démarreur permettant d'écrire des portraits étonnants de justesse et de finesse (enfin, selon les textes). Les Récréations de Bourges nous ont permis de découvrir l'adaptation de ce portrait à un objet. Ici le crochet à goutte d'eau est traité comme une personne (ou presque).

Com’on, Mona.

Je vois une toile lisse, compacte et polie.


Je note qu’elle est inattaquable, qu’on l’appelerait si on était anglophone, « The Smile », ou si on était pas familier de la langue de Chexpire, le Sourire.


Je souligne qu’il n’y a pas une ride pour figer le visage, pas un trou pour dégrader l’œil allongé, pas la moindre arrête pour signifier l’outrage du temps.


Je remarque que le front est bombé, comme celui d’un éléphant, ou comme les collines qu’on aperçoit au fond..


Je me demande si lorsque toutes les analyses farfelues pour expliquer la présence du pont et de la fumée au loin sont épuisées, éculées, obsolètes, il reste un moyen, unique, ultime.


Je ne peux pas croire que dans la réserve des grands caïds de l’art, on trouve un hochet à grelot.


Je détesterais l'idée que ce hochet à grelot soit un simple jouet pour public de musée infantilisé.


J'aimerais beaucoup que le hochet à grelot soit en fait pointu et acéré, qu’il griffe le jugement naïf et banal, qu’il entaille le sens du commun, bête comme pomme granit.


Je ne doute pas que l’agitation du hochet à grelot, à l’extrémité inférieure du cadre, devant le sourire qui point d’un tout petit millimètre —Voilà, il est agité — suspende l’intelligence d’une toute petite ouverture de compas, même de trois ouvertures de compas.

Mais je ne serais pas autrement surprise que la dame à la résille respire.


Je frémis à l'idée que sur la partie inférieure du cadre, l’agitation très lente du hochet à grelot provoque un fou rire chez la belle florentine, qui perdrait alors superbe et mystère, lesquels tiennent, semble-t-il, à cette mince margelle, à cette maigre encoche, ce double trait modelé sur la toile.


Je vois que progressivement, le double trait se déforme sous l’affront du hochet.

Au fur et à mesure, le hochet enfonce sa pointe dans la toile et se trouve conforté.

Encore plus lentement, les commissures se lèvent.

J’évite à tout prix de regarder devant quoi je suis planté littéralement.

Le Louvre vibre. La Joconde rit.

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