lundi 22 septembre 2008

Transduction du bourreau (Sandrine)


Transduction de « Descendre » (tiré de Paul Fournel, « Besoin de vélo »)








EXECUTER

Exécuter me rassemble. L’exécution réunit le sadique et le saigneur qui sont en moi. Chaque éxécution à main nue est une sorte de carnage géant, avec ses hémorragies lentes, ses accélérations et son indispensable sens de l’anticipation.

Pour être un bon bourreau, il faut avoir une connaissance profonde de l’anatomie, une sorte de complicité avec les médecins de l’Institut, une approche instinctive et rapide des suppliciés. Chaque corps est un dessin et chaque mise à mort est un dessin dans le dessin.

Les chairs vives dictent leur loi au saignoir à coups de cris et de sursauts, mais les plus anciennes épousent les mouvements de la lame et du nerf de bœuf.
Lorsqu’on entre vite dans un corps sans visibilité il est impératif d’avoir une idée intuitive de sa fin. L’expérience est donc primordiale. Plus on exécute, plus vite on exécute.

Il faut être vigilant et en forme. L’exécution est le contraire du laisser-aller. C’est pourquoi mon admiration est grande pour les tortionnaires qui, après une bataille terrible dans des chairs, basculent à fond sur un autre condamné.

Les grands bourreaux sont des êtres bizarres dont il faut apprendre à se méfier. J’en ai suivi quelques-uns. Ils ne sont pas forcément méchants, mais leur virtuosité peut les transformer. Tout se passe comme s’ils voulaient endormir leurs victimes. Ils se mettent devant et donnent confiance et puis, d’un coup sec, celui qui tentait de leur résister se retrouve au gibet, à l’échafaud, sous le couperet. Il y a quelques hommes qui tournent là où tous les autres vont tout droit. Il est bon de le savoir.

Le plaisir de faire céder une côte que vous avez mille fois fendue, c’est de la faire craquer le moins possible, retarder les craquements, entrer le moins vite possible dans la fêlure, tapoter en bonne ligne pour attaquer les suivantes, tracer un dessin impeccable et lui donner le rythme d’une musique. On peut chanter en torturant.

On peut faire cela à vitesse moyenne et y trouver grand plaisir.

Si l’on est fatigué, en revanche, ou simplement émoussé, les mises à mort peuvent paraître interminables. Si le froid s’en mêle et engourdit les doigts, si la pluie s’en mêle et détrempe le supplicié, si le vent balaie la Veuve, éxécuter peut être pénible.

Je me souviens d’une exécution près du Ventoux par un fort mistral glacé qui m’a laissé tétanisé à Malaucène, incapable de me réchauffer, incapable – ce qui est encore pire – de retrouver la moindre trace du plaisir de la souffrance.

Aucun commentaire: