mercredi 2 février 2011

Transduction de Ponge (Sandrine n°2)


L'original, plus légumineux qu'herbu, est .

Fumer un pétard

Fumer un pétard de bonne qualité est un plaisir de choix.
Entre le gras de l’index et la pointe du majeur qui dominent les autres doigts recourbés, l'on saisit — après l'avoir humecté — par le bout le plus fin ce cône de papier que l'on tire à sa bouche pour l’allumer.
L'opération facile laisse, quand on a réussi à la parfaire sans s'y reprendre à trop de fois, une impression de satisfaction indicible.
Le léger parfum qu’exhale la première bouffée en s’échappant est doux à la narine, et la découverte de la volute comestible réjouissante.
Il semble, à reconnaître la perfection de la beu nue, sa différence, sa ressemblance, sa surprise — et la facilité de l'opération — que l'on ait accompli là quelque chose d’interdit, dès longtemps décrié et réprouvé, que l'on a eu toutefois le mérite d'exaucer.

C'est pourquoi je n'en dirai pas plus, au risque de sembler me satisfaire d'un ouvrage trop simple. Il ne me fallait — en quelques phrases sans effort — que déshabiller mon sujet, en en contournant strictement la forme : la laissant intacte mais impolie, honnie et toute prête à subir comme à procurer les délices de sa consom­mation.
...Cet apprivoisement de l’herbe par son traitement par un peu de tabac blond durant vingt secondes, c'est assez curieux (mais justement tandis que j'écris des joints attendent — il est une heure du matin — d’être roulés devant moi).

Il vaut mieux, m'a-t-on dit, que la beu soit bien sèche, âpre : pas obligatoire mais c'est mieux.
Une sorte de vacarme se fait entendre, celui des pas des parents dans l’escalier. Ils sont en colère, au moins au comble de l'in­quiétude. L’herbe se déperd furieusement en vapeurs, roussit, grille aussitôt, pfutte, tsitte : enfin, très vite planquée sous le canapé.
Mon joint, plongé là-dessous, est secoué de soubresauts, bousculé, injurié, imprégné jusqu'à la moelle de la réprobation parentale.
Sans doute la colère de la mère n'est-elle pas à son pro­pos, mais il en supporte l'effet — et ne pouvant se déprendre de ce milieu, il s'en trouve profondément modifié (j'allais écrire s'écrase...).
Finalement, il y est laissé pour mort, ou du moins très abimé. Si sa forme en réchappe (ce qui n'est pas toujours), il est devenue mou, racorni. Toute acidité a disparu de son mélange : on lui trouve un drôle de goût.
Sa feuille s'est aussi rapidement différenciée : il faut l'ôter (elle n'est plus bonne à rien), et la jeter aux ordures...
Reste ce bloc friable et savoureux, — qui prête moins qu'à d'abord vivre, ensuite à philosopher.

In, « Illicites »

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