lundi 10 octobre 2011

Récit ethnodendrique (Cécile)


 Pour jouer comme ici.



Le séquoia géant ( Sequoiadendron giganteum) de la place du Cardinal Lefebvre n'aurait jamais dû être là. Le séquoia n'est pas indigène en Berry. Il a été ramené en avion de Rome, en 1954, sous le bonnet carré et pourpre du Cardinal Lefebvre, alors qu'il venait d'être ordonné cardinal de S. Giovanni Battista dei Fiorentini. Un écureuil vaticanesque aurait caché, pour former des provisions sitôt oubliées (car l'écureuil est charmant et agile, mais il est dépourvu de mémoire) de minuscules cônes sous le bonnet de l'alors évêque berruyer, qui s'est gratté la tête en revenant devant la cathédrale de Bourges, plantant alors en toute ignorance ce qui deviendrait un monstre, un gigadendron, absolument pas adapté à l'étroitesse de joints entre les pavés qui font front bas devant Saint Etienne. Son tronc est trop large pour être embrassé par qui ce que soit (à part Encelade, peut-être, qui a néanmoins autre chose à faire que d'embrasser les arbres), sa cime trop haute pour que je la discerne. Son écorce est rugueuse et abrite des gendarmes qui copulent par dizaines, petite chaine rouge mal cachée dans les anfractuosités ocre terre de sienne presque vermillon.  Le séquoia géant de la place du Cardinal Lefebvre se sent tellement déplacé sur la placette qu'il se cache dans les ramures d'un Fagus (le hêtre, qu'on appelle fou, fol au Moyen-Age) bien local ; mais comme l'homme cache la foule,  le fagus semble greffé sur un tronc trop gros pour lui, trop rugueux pour lui, trop craquelé pour lui. Encastré dans le séquoia, le Fagus devient un usurpateur, et un monstre végétal. Devant les contreforts de la cathédrale, et avec sa bénédiction, ces deux là sont mêlés, sans que personne ne lève les yeux vers eux. Il est vrai que les passants se précipitent dans l'ouverture noire du parking de la mairie.
Le séquoia géant est clandestin, comme la passante aux chaussures rapides. Le séquoia géant se plait, comme elle, sur le sol aride et même acide. Le séquoia géant résiste au feu, aux incendies, aux grands incendies et aux grandes brûlures.  Le séquoia géant de la place du Cardinal Lefebvre est mon ami, parce que chaque fois que je l'embrasse, trois fois par semaine, il m'enseigne tous les remèdes contre les brûlures graves et contre les légères. Il me dit comment épaissir ma peau et la craqueler pour faire front au feu, il me raconte qu'un de ses frères s'appelle sempervivens, et trois fois par semaine, le visage collé à son tronc trop large, j'entends bruire un incendie longtemps retenu. Le séquoia géant de la place du Cardinal Lefebvre est reproduit en miniature dans chacun de ses cônes, qui ne s'ouvre que lorsque la chaleur de l'incendie est trop forte. Je promets au séquoia géant de la place du Cardinal Lefebvre que je le ramènerai à Rome dans un bonnet carré. On verra bien ce que dira Saint Pierre. 

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